Retour à Reims [Fragments]

 

En adaptant l'essai autobiographique de Didier Eribon (publié en 2009) au fil d'un montage d'archives savamment orchestré, Jean-Gabriel Périot revient sur plusieurs décennies d'impasse pour la condition ouvrière, du temps des renoncements à celui d'une fracture politique avec la gauche historique.

Six mouvements et un épilogue constituent Retour à Reims [Fragments] qui réunit une grande quantité d’images extraites de films, d’entretiens et de journaux télévisés pour lier l’intime au collectif, et plus spécifiquement le domaine du foyer à celui de la société tout entière. D’une situation familiale réelle — le retour du sociologue Didier Eribon à Reims, auprès de sa mère –, Jean-Gabriel Périot dresse un large portrait de la classe ouvrière française de la seconde moitié du XXe siècle. En voix off, Adèle Haenel conduit ce récit hanté par la sédimentation de la pauvreté à travers le temps et les générations, et les possibilités toujours plus minces de s’en détacher. Différentes thématiques se greffent alors : inégalités hommes-femmes, racisme, mépris et honte, autant de mauvaises branches nourries au même engrais, celui d’une précarité maquillée sous le fard des « trente glorieuses ». Dans un segment particulièrement amer, mais peut-être d'autant plus lucide, le film montre en quelques raccords éloquents le détachement de la gauche libérale de cette classe ouvrière qui, délaissée, se tournera peu à peu vers le programme de l’extrême droite. Comme une piqûre de rappel en cette période d’élections.

 

Corentin Lé
Trois couleurs
Avril 2022